Ce mois-ci, Les Navigauteurs invitent dans leurs colonnes Jean-Louis Dell’Oro, journaliste chez Challenges. Il répond à notre interview « Prospectives ».
Votre portrait de navigateur digital
Quels sont les sites sur lesquels vous vous plaisez à naviguer (et pourquoi donc ?)
Je navigue naturellement beaucoup sur les sites d’information. Avec Challenges.fr, nous essayons d’avoir une approche éditoriale percutante et pédagogique sur des sujets qui sont parfois complexes. Mais je lis aussi beaucoup de choses intéressantes ailleurs. D’un point de vue plus technique, je trouve le nouveau site des Echos très bien construit et j’apprécie le design de Slate.fr, que je trouve très élégant. En dehors des sites de presse, je remarque que les sites liés à des applications pratiques (suivi de la santé, sport, …) ont fait d’énormes progrès ces dernières années pour afficher les données de façon ludique.
La dernière innovation digitale qui vous ait interpellé(e) ?
L’intelligence artificielle a fait des progrès sidérants ces dernières années. Certaines voitures sont capables de conduire sans pilote et de vous faire éviter des bouchons. Elles sont déjà opérationnelles. Autre exemple : votre iPhone peut vous dire si vous devez prendre votre parapluie. Dans les jeux vidéo également, la logique de certains personnages est parfois poussée très loin. Toutefois, comme l’a rappelé récemment Stephen Hawking, nous manquons pour le moment cruellement de règles pour que le développement des intelligences artificielles reste sous contrôle.
Contre quel(s) courant(s) digital(aux) résistez-vous ?
L’instantanéité de la pensée me laisse perplexe. J’aime bien Twitter et Facebook et je m’en sers quotidiennement. C’est une source d’enrichissement. Mais ces sites phagocytent parfois votre esprit au détriment de la réflexion. On a tendance à réagir sans toujours réfléchir. Or, il faut du temps pour comprendre une idée, se faire une opinion puis s’exprimer. Le problème n’est d’ailleurs pas tant dans ces outils que dans la façon dont on s’en sert.
A l’horizon, que voyez-vous ?
2025, Odyssée des contenus ! A quoi ressembleront les contenus de la presse dans 10 ans ?
Je pense que plus de la moitié des contenus seront écrits par des robots. Il y a déjà des robots qui sont capables d’écrire des articles sur les bilans financiers d’entreprise ou le dernier match de football aux Etats-Unis. Imaginez ce que ce sera dans 10 ans ! Les journalistes, eux, seront davantage des producteurs d’analyses, d’éditoriaux ou de reportages, des tâches plus difficiles à réaliser pour une machine. Par ailleurs, je pense que beaucoup de contenus seront mis régulièrement à jour pour devenir des références sur le web, un peu à la manière d’une entrée sur Wikipedia. Enfin, je pense que les lecteurs seront de plus en plus orientés vers des articles qui correspondent à leurs centres d’intérêt avec une homepage différente pour chaque internaute.
Votre job « next génération » : ce qui va révolutionner votre métier dans les prochaines années ?
La presse a aujourd’hui du mal à trouver des sources de financement. Les initiatives en ce sens (crowdfunding, appel au don, prise de participation, …) vont se multiplier dans les médias. De ce bouillonnement émergeront sans doute de nouvelles professions chargées d’amener les lecteurs à soutenir financièrement leur journal. Je vois bien l’arrivée d’une sorte de mix entre le community manager et le financier. Mais il est très difficile de prévoir ce qui va réellement se passer. Il suffit de regarder à quel point la presse a changé au cours des dix dernières années.
On dit souvent qu’avec Internet tout le monde devient journaliste (à travers les blogs, les réseaux sociaux, etc.)… Dans ce contexte, comment un journaliste envisage-t-il le futur ?
Je n’oppose pas les journalistes aux blogueurs. Les deux métiers se rejoignent dans le sens où on essaie de dénicher des informations et de la mettre en forme. Il existe ainsi d’excellents blogueurs, en particulier quand ils sont spécialisés dans leur domaine, comme de mauvais journalistes. La différence se fait au niveau de l’organisation. Un média a une structure, une charte interne, des relecteurs, des systèmes de contrôle de ce qui est publié. Certes, ces systèmes ne fonctionnent pas toujours parfaitement. Mais ils existent.
Les blogueurs, eux, sont la plupart du temps seuls, avec des sources de financement ou des intérêts qui ne sont pas toujours affichés. C’est pourquoi je pense qu’il y aura toujours des journalistes « classiques » dans des médias « classiques », tant que ces derniers continueront à être utiles à leurs lecteurs.